Les Outannes, Creux de la Tièche, bisse de Tsittoret

Les lecteurs qui trouvent certaines des randonnées de ce livre trop engagées ou trop longues seront séduits par cet itinéraire dans le cirque des Faverges. Cette fois-ci pas de boucle à boucler, de col à atteindre, de cabane à visiter. On fait sa journée à la carte. Le seul but à viser pour jouir d’un maximum de tranquillité est le vallon des Outannes, qui n’est ni excessivement loin, ni exagérément haut lorsque l’on part de L’Aminona.

Ce merveilleux vallon s’étire longitudinalement sous la Plaine Morte, tel un hamac dont une extrémité aurait été accrochée au Mont Bonvin et l’autre au Schwarzhorn. La comparaison avec le hamac est d’autant plus appropriée que la balade y est plutôt reposante. Nous nous y promènerons pendant une heure environ avant de revenir sur nos pas. Mais le randonneur peut à sa guise raccourcir ou rallonger cette exploration. Monter au Schwarzhorn n’est cependant pas un gage de plus grande solitude, l’ascension de cette montagne étant plus fréquente par le versant bernois et la Lämmerenhütte.

Le départ se situe près de la station de téléphérique du charmant village - non, je plaisante – de L’Aminona. Les personnes motorisées pourront prendre la route des Mayens à droite, puis une autre route à droite vers la Cave du Scex. Quelques places de parc se trouvent près de la chapelle de Crêta d’Asse (barrière). Les Caves de Colombire/Ploumachit sont un autre lieu de départ possible. Les temps de marche dans le texte se réfèrent au parking de Crêta d’Asse.

Qu’on parte de Crêta d’Asse, de L’Aminona ou de Ploumachit, on rallie d’abord la buvette d’alpage de la Cave du Scex [1878m, entre 30 min et 1h]. On rencontre ici le bisse du Tsittoret, qui, à cet endroit, dévale quelques mètres en une petite cascade. Des marches aménagées dans la forêt nous amènent rapidement au niveau du canal. Avec le regain d’intérêt pour les traditions, les bisses sont devenus à juste titre des buts de promenade populaires. En conséquence, cette section du parcours est très fréquentée durant l'été et les week-ends. Ce n'est que plus tard dans la journée que le grizzly sera dans son élément. Qu'il serre les dents et apprécie le romantisme de ce cheminement au fil de l'eau.

On demeure sur le sentier du bisse jusqu’à sa prise d’eau, à Tièche. Sa construction remonte au XVe siècle. Il transporte passablement d'eau, même à fin septembre quand d'autres bisses sont mis hors service. L’auteur ayant exploré le cirque des Faverges au mois de juillet également, lors de l’ascension du Trubelstock, il a pu constater la profusion de fleurs colonisant les rives du bisse.

La section plane du bisse s’arrête au pied d’une autre cascade de la Tièche. Par de hautes marches et une corde servant de main courante, nous montons à droite du cours d’eau. En fait, on chemine au milieu d'une double cascade : celle de gauche qui alimente le bisse de Tsittoret, et celle de droite qui poursuit sa descente pour devenir, plus bas, la Raspille.

A la prise d’eau du Tsittoret [1950m, 1h], notre destination des Outannes n'est indiquée nulle part... ce qui est plutôt bon signe dans l’esprit d’un grizzly. Nous avons le choix : rester sur le versant ouest et grimper en dévers - suivre Petit Mont Bonvin - ou prendre la direction de Montagne du Plan, plus à l'est et moins direct. Pour varier les plaisirs nous optons pour cette deuxième possibilité et franchissons le bassin d’alimentation sur la passerelle. La route d'alpage nous conduit à Montagne du Plan [2075m, 1h15].

On distingue désormais très bien l’arête de Nusey, cette longue bande rocheuse qui protège notre écrin des Outannes. Elle le protège si bien des regards qu’on ne se doute pas qu’un superbe sentier le parcourt intégralement. Même depuis les points de vue élevés du Trubelstock ou du Col de la Roue, il me fut impossible de savoir avec certitude si ce vallon pouvait être un but de randonnée valable.

Pour accéder au vallon, il va falloir contourner la barre rocheuse par la gauche et en chercher la porte d'entrée à l'endroit dit « Creux de la Tièche ». On met donc le cap vers la grande chute d’eau qui domine le paysage depuis un moment déjà. Si on avait des yeux dans le dos, on aurait une vue fabuleuse sur la Dent Blanche, le Cervin, les Aiguilles d'Arolla, les Mischabel. Ce soir au retour, on les aura face à soi.

A la ferme de Montagne du Plan, on quitte la route d'alpage ainsi que l'itinéraire du Trubelstock pour suivre la direction du Petit Mont Bonvin. Une facile traversée nous amène au pied de la cascade [2075m, 1h45], superbe endroit où un arrêt s’impose. On poursuit toujours vers l'ouest, en remontant une sorte de rampe d'accès au niveau supérieur dans laquelle s’écoule un maigre ruisseau. Plus on approche du Mont Bonvin, plus la caillasse se fait présente. Le chemin tire sur la gauche mais un coude nous fait finalement repartir à droite. Lors de cette dernière traversée, on se retrouve dans l'alignement presque parfait de l'arête de Nusey. C’est là qu’un panneau nous renseigne sur la suite du parcours [env. 2300m, 2h15]. Le nom des Outannes apparaît pour la première fois, à côté de ceux du Col du Schwarzhorn et de la Lämmerenhütte. Découvrir un excellent sentier balisé rouge et blanc se glisser dans ce vallon reclus fut un soulagement. Etonnamment, les cartes ne l’indiquent que par bribes. Cela explique son isolement relatif. Nombreux sont les guides de randonnée proposant le bisse de Tsittoret comme but d’excursion, mais aucun ne mentionne les Outannes.

L’idée de monter au Col du Schwarzhorn est séduisante - il y aurait un joli petit lac à ses pieds – mais cela demanderait encore environ 3 heures depuis ici. L’entrée dans les Outannes débute par une légère descente. Le sentier reste sagement sur le côté sud du vallon, le côté nord étant sous la menace permanente des débris dévalant la face escarpée des Faverges. Dire qu'au-dessus des Faverges se trouve la grande étendue glacée de la Plaine Morte, totalement invisible depuis ici !

On retrouve bientôt une vieille connaissance: le torrent de la Tièche. Pour le franchir, une petite arche qu’on dirait naturelle mais consolidée par un soupçon de béton. On le traverse à l'endroit même où, tel un désespéré, il amorce un virage vers le sud pour se précipiter dans le vide. C'est la cascade de tout à l'heure. On était à ses pieds, nous voici tout en haut. Devant soi, dans le prolongement de l'arête de Nusey, la pointe du Nuseyhorn se profile, et à sa gauche, le Trubelstock. Autant le Nuseyhorn devient de plus en plus acéré, autant le Trubelstock s'aplatit au fur et à mesure qu'on s'en approche. L’itinéraire conduisant au Trubelstock, une belle excursion cotée T3, ose une traversée hardie sous les rochers du Nuseyhorn, on peut apercevoir ce tronçon depuis le vallon.

Des blocs commencent à encombrer le talweg. Il y en aura de plus en plus, un coup d'œil devant soi ou même sur la carte suffit à nous en persuader. Nous interrompons notre incursion dans le vallon à l’aplomb du Nuseyhorn, là où la pente se redresse vers le Schwarzgrat [env. 2350m, env. 3h30]. Le retour jusqu’au pied de la cascade est identique à l’itinéraire de montée. Ensuite, pour varier et parce que c'est plus direct, on suivra de préférence la direction de la Tièche, à droite. Beaucoup de lieux portant le nom de Tièche par ici, disons clairement que le terme 'Tièche' des indicateurs pédestres désigne invariablement la prise d'eau du bisse.

Après un court passage protégé par une corde, car le terrain au-dessus du torrent fougueux est raide et glissant, le chemin s’élargit nettement et gagne la plaine herbeuse de la Tièche. Lorsque le sentier rejoint la route d’alpage, nous remontons vers la Cabane de la Tièche et Merdechon. Bien sûr, on pourrait tout aussi bien descendre vers la prise d'eau et retrouver le chemin de ce matin, mais l’appel d’une buvette d’alpage proposant une restauration à toute heure est trop fort. On termine la balade soit en restant sur la route – une possibilité appréciable à la tombée de la nuit – ou en empruntant les nombreux raccourcis qui vous ramèneront à votre point de départ. La descente dans la version décrite ici prend env. 2h30, la randonnée entière un total de 6 heures. Une version « light » de cette randonnée, avec comme but le haut de la cascade de la Tièche, totaliserait environ 4 heures, pauses non comprises.